La feuille tombe lentement,
Sans se presser, comme une danse,
L’inconnu où elle s’élance
Lui semble le plus bel amant.
Je suis entré dans l’existence
Comme un oiseau dans un palais,
Si beau, si joyeux, et si gai,
Qu’elle m’en chanta l’espérance.
Elle cambre, hautaine, le blé
De ses nervures enfantines,
Et suit mollement la comptine
Où elle joue son doux ballet.
J’ai ri parmi les crinolines
Des rondes d’oubliés matins :
Les chemins, embaumés de thym,
Parlaient de si fraîches collines !
La jeune feuille aux yeux éteints
Lève vers les cieux son visage ;
Enfer ! L’en deçà, les branchages,
Sont à mesure plus lointains.
Le temps gronde et fait son passage
Longuement, dans la nuit sans fond.
Le seul vieux feu qui s’y morfond,
Le souvenir, n’est qu’un mirage.
Les vents qui font et qui défont
L’autre, l’espoir, et les écueils,
Soufflent sur cet esprit en deuil,
Là-haut, qui vole, au ciel profond.
J’ai cru sortir de mon cercueil
Quand la vie m’offrit son repas,
Et me montra, devant mes pas,
L’avenir pur, comme un recueil !
Ce vol rêvé est un appât,
Un plongeon sans joie, un sommeil.
Il n’y aura plus de merveilles.
Les feuilles mortes n’y croient pas.
Bientôt je perdrai mes soleils ;
Demain finira mon roman.
Riez ! Je partirai gaiement,
Seul, enfin, libre pour l’éveil !