(1996-1999)

« Si tu m’aimes, je ne t’aime point.
Et si je t’aime, pauvre de moi ! »


Sherman

Donnerstag, 28. Januar 2010

Blason


Quand le bruit partait, dans le silence de l’ivresse, je m’arrêtais sans même y croire sur chaque instant de la veille, je me souvenais des paroles qui malgré moi me sortaient de la bouche, des mensonges, des spectacles que j’avais donné de moi, et qui n’avaient rien valu aux yeux de personne. Je revoyais les mauvaises plaisanteries, la comédie de l’homme pour qui c’est le seul rôle, et qui faisait soit rire, soit pleurer.

Puis dans ma vie de tous les jours, cauchemar de vie éternel, quand, assis au milieu d’un groupe que je ne peux aimer, je me mettais à relire mon âme, et essayais d’en percer le secret – je croyais me connaître – et je me trouvais pire encore que je ne m’imaginais, vaisseau fantôme, nef des fous, ballotté ici et là, entre les deux courants du rire, et des pleurs.

Je m’arrachais les cheveux de la tête, je me disais « non, ce n’est pas possible, ce n’est pas toi », mais c’était moi, c’était bien mon visage hélas, mon corps qui marchait dans ces rues où il n’avait rien à faire, vide d’esprit et de vitalité, le cœur mou, et c’était bien à mes oreilles que résonnait cette devise, comme une litanie à s’en briser le crâne : « Rire, ou pleurer ».

Il me restait à franchir les portes de la mort : je « songeais au suicide » avec une lucidité étonnante, j’analysais les chances, les risques, les possibilités… Puis je pensais à ceux que j’aurais aimé revoir, et que du coup je ne reverrais plus, quelques êtres adorés ; je suggérais que ce serait bien dommage ; mais je me reprenais, je riais de cette faiblesse, de ma tristesse.

Ou encore, une fois, alors que les autres priaient Dieu, comme des malades, joignant leurs mains, et chantant avec une volonté, une beauté sans pareille, je me disais que moi aussi, j’aurais bien aimé croire en Dieu ; mais je me moquais de leurs poses, de leur certitude incompréhensible. Puis, quand les chants partaient, dans le silence de la chapelle, je maudissais je pleurais mon intolérance, mes sourires.

Pouvoir savoir penser ! Pouvoir ne plus me trouver, au creux de la vague, ou à son faîte, mais dans une mer morte ! Pouvoir être constant ! Vivre, sans regretter le passer, sans se moquer du futur ! Dieu au profond amour, Dieu plein de tendresse. Pouvoir avoir un « soi-même », un quelquechose en qui se croire ! Ne plus se partager entre l’éloignement et l’atteinte, entre les rires, entre les larmes !

Mais, caché dans un monde qui m’ignore, devenu un être aux opinions bien claires, aux positions stables comme des citadelles, pur et vide de fantasmes, « sans désir », dans un calme incommensurable, là, je n’aurais plus à sortir mes mouchoirs, ou à écrire des poèmes auxquels je ne crois pas pour me sentir quelqu’un, j’en aurai fini de cette devise : « Rire, ou pleurer ».

Et je regarderai ma jeunesse comme une longue indifférence, une jeunesse dorée comme le sont les nuits d’orage, une chose fantastique ; et je me maudirai d’être vieux, de ne plus avoir ma magique inconstance, cet esprit lumineux, flottant, et qui enchantait ceux qui me voyaient ; je me poserai les questions qu’il ne faut plus, quand il ne le faut plus ; je me demanderai, les yeux remplis de larmes, « Où est le rire ? »

Alors, je jetterai un coup d’œil à la vie des autres, je penserai, me grisant pour la dernière fois de mensonges, « il y a pire ailleurs » – normal ! – je ne me comprendrai plus, je me mépriserai, même… quand tout aura disparu, ruines de mon âme, ordure d’autrefois peu importe, et à moitié mort de rire, à moitié fou de rire, je prononcerai mon épitaphe : « Pourquoi donc as-tu tant pleuré ? »

Avant le dernier souffle cependant, il me viendra à l’esprit qu’un autre aurait su passer, à ma place, un être enfin constant – compréhensible, quoi ! – Il aurait vécu sans jamais regretter le passé, sans se moquer de l’avenir : et personne n’aurait entendu le bruit frêle, maladroit du partage, entre l’éloignement et l’atteinte, le bruit de mes rires, et le bruit de mes larmes.