L’empereur vivait depuis cinquante ans déjà. Il ne s’était attaché en rien aux immenses charges que lui aurait dû imposer sa puissance, mais jamais il ne réalisait un geste de monarque.
Il aimait à connaître la femme et, pour cette obsession, des émissaires sillonnaient l’empire, à la recherche de celle qui pouvait lui plaire, mais jamais ils ne rencontrèrent cette perle.
Tout se passait donc entre plaisir et amertume dans le palais, et le maître pleurait sa grandiose destinée :
« Rien n’est vrai. Aussi bien j’aurais pu combattre des milliers de peuples, agrandir mon domaine aux limites de l’horizon, que je n’aurais été heureux.
«Aussi bien puis-je chercher satisfaction dans le vie intime, que je n’y trouve que des ressorts usés, et des corps vieillis.
« Toutes les ressources de l’univers sont en ma main. Tout est possible. Mais rien n’est vrai. »
Il passait voir quelquefois ses jardins. Ils lui apportaient parfois un réconfort instable.
Le premier de tous semblait une grande plaine, dans laquelle tournaient de petites allées, et au centre de ces spirales un temple s’adressait à lui.
Le second simulait une forêt de bambou. Par épisodes, des ruisseaux le traversaient, et de vieux arbres s’y reflétaient.
Le troisième imitait le paradis. On avait donc pensé à une profusion de fleurs ; des oiseaux multicolores volaient dans ce monde silencieux.
Et au-delà s’étendaient tous les jardins du monde, nocturnes, sans fin envahis par une mélancolie naturelle. L’empereur y reprenait son souffle :
« Que me font ces plantes stupides ? Je pourrais toutes les abattre qu’elles ne m’apporteraient rien de plus. Je pourrais en planter millions d’autres, et journellement je serais malheureux. »
Alors il allait voir ses femmes. Elles avaient un palais à elles toutes seules, un palais silencieux, surélevé, et duquel on apercevait tout.
Celle qui lui plaisait le plus portait une petite tâche sur l’épaule droite, sombre, divisée en deux parties comme le monde.
Une autre avait un cheveu blond, et le jour où elle se le teint en rouge pour être aimée, elle fut renvoyée au monde extérieur.
Une autre encore tenait dans ses yeux noirs un point orange, comme un lac sur cette terre, et avait pour ordre de ne jamais battre d’un cil devant l’empereur.
Il les aimait pour leur beauté, pour leur amour, il les aurait adorées. Mais au bout du compte il regardait le cheveu, le point, comme des choses familières. Et rien ne l’étonnait plus.
Ailleurs, on le devinait dans les canaux des grandes villes, cherchant l’espoir parmi le désespoir, et réduisant sous son embarcation les calmes reflets.
Ailleurs, un temple l’observait gravement discourir de l’immortalité de l’âme, et tenir entre ses mains un mensonge.
Une vie d’ennui s’achevait pour lui. Une vie d’ennui commençait pour lui.