(1996-1999)

« Si tu m’aimes, je ne t’aime point.
Et si je t’aime, pauvre de moi ! »


Sherman

Donnerstag, 28. Januar 2010

Printemps (1)


Tremble, jeune fougère ballottée par le vent du Nord, désiré, aux combles d’une joie toute arborescente. Tu élèves tes feuilles au ciel, puis retombes dans la terre, dans les feuilles mortes. Souviens-toi, quand tu étais une graine parmi d’autres, élancée dans l’air comme les blés du matin, comme les fleurs – pourquoi être devenue ainsi, et tu te bats dans la boue, pour prendre cette lumière que te cachent les grands arbres ? Tu étais bien fière alors, la nature ne pouvait t’atteindre ; tu vivais, pour être l’étoile filante d’un moment, le jeune « premier » qui tente sa chance, et qu’on n’entendra jamais, tu étais la vie microscopique, la joie dans une poussière ; qu’es tu devenue ? Oh bien sûr j’entends ta réponse « pire ailleurs pas la seule pas si mal » – et de quoi peux-tu te réjouir : ta beauté qui n’est que pour quelques fous, ou pour les rêveurs de quelques pays lointains ? La forêt dans laquelle tu crois évoluer, si sombre si sauvage, l’élément des métaphores ?

Vis en style ! Si c’est là tout ce que tu peux faire, prends-toi pour la plante qu’on va cueillir dans les bois l’après-midi, et qu’un amoureux fou mâchonne en pensant que lui aussi, c’est son tour d’aimer, c’est son tour d’oser prendre place parmi les autres, et que personne ne rejoindra. Soit, prends-toi pour l’épice que l’osmologue renifle avec des yeux pleins de tendresse, et qui disparaît dans la bouche des profanes – sans leur faire aucun effet ! Si tu pouvais jouer à l’edelweiss imprenable, sur un sommet où la boue est blanche et scintillante dans les derniers rayons du crépuscule. Immensité du rêve ! Tu te lèves déjà, tu aspires l’atmosphère divin, tu sens la joie du sapin qui ne reverra plus l’hiver, l’ivresse du soleil de l’éclipse, débarrassé un instant de la vue du monde. Ah si comme lui tu pouvais renaître un matin plus beau, un jour sans nuages. Mais à quoi servent ces plaintes que tu continueras de ruminer, ces espoirs auxquels tu n’as pas su dire « c’est moi, attendez-moi ! »

Pas de répit, ballottées par le vent du Nord, tes graines tremblent et s’envolent, au comble d’une joie toute arborescente, sans passé ni futur, sans désir de rester, sans raison d’être, comme la paix sur le monde !